Il y a deux ans, les Championnats du monde de ski se sont déroulés à Schladming, en Autriche, dans une ambiance incroyable. Chaque année, le fameux slalom de nuit est l’un des sommets de la saison et les Championnats du monde 2013 n’ont fait qu’affirmer la passion des spectateurs autrichiens pour le ski et les skieurs.
En passant de Schladming à Vail-Beaver Creek les mondiaux ont donc fait plus que changer de continent, ils ont finalement changé de planète. Parce que Vail et Beaver Creek, les deux stations associées pour l’organisation des 43èmes Championnats du monde de ski n’ont pas grand chose à voir avec la familiale Schladming. Dans le Colorado, le ski n’est que luxe et volupté et Vail-Beaver Creek pourraient être comparées à Megève et Courchevel… en encore plus "Bling-Bling". Une sorte de Disney land en altitude. À Vail, par exemple, le forfait journalier pour aller skier est de 145 dollars et il vous en coûtera 2 500 dollars si vous voulez vous offrir une saison de ski au pied des Rocheuses. À titre de comparaison, en France, un forfait journalier n’excédera pas une cinquantaine d’euros. Mais dans l’hexagone, vous devrez marcher pour aller prendre les remontées mécaniques alors qu’à Vail, comble de la modernité, c’est un escalator qui vous amènera au pied des télécabines. Et puis il y a ces trottoirs chauffants qui permettent aux riches élégantes, qu’elles soient américaines ou mexicaines, de chausser leurs talons hauts pour aller manger dans un restaurant, qu’il neige ou qu’il gèle.
À Schladming, tout respirait le ski : la ville, les pistes, les spectateurs. À Vail ou à Beaver Creek, c’est l’argent que l’on sent. À chaque coin de rue, dans les hôtels ou les restaurants. Sauf à manger une pizza vite fait ou un burger, vous aurez beaucoup de mal à dîner pour moins de cent dollars et l’hôtel le moins cher de Vail affiche un tarif de 500 dollars la nuit. Ici, même les parkings sont plus chers qu’ailleurs.
En offrant les Championnats du monde de ski à Vail-Beaver Creek, la Fédération Internationale va donc promouvoir un grand show… à l’américaine. À moins qu’elle n’ait décidé de faire un petit cadeau à Lindsey Vonn, la meilleure skieuse de l’histoire, licenciée au Ski Club de Vail et qui pourrait être la grande star de ces Mondiaux.
La Birds of Prey, la piste de la descente masculine de Beaver Creek est moins dangereuse que la Streif de Kitzbühel, moins longue que celle du Lauberhorn à Wengen, moins spectaculaire que la Stelvio de Bormio, mais l’étape de Beaver Creek n’en demeure pas moins un rendez-vous prisé des amateurs de vitesse à skis. Présentation de la piste par Adrien Théaux, médaille de bronze des Championnats du monde en Super G et huitième de la descente.
La Birds of Prey est inscrite au programme de la Coupe du monde depuis 1997 et elle avait déjà servi de support aux Championnats du monde 1999. L’endroit n’est donc pas encore un mythe du grand cirque blanc, mais déjà une course qui compte.
Il n’y a qu’à regarder la liste des skieurs qui se sont imposés en descente sur la Birds of Prey. Ce ne sont justement QUE des champions. La palme à Hermann "Herminator" Mayer, l’Autrichien et à Bode "Magic" Miller, l’Américain blessé sur le Super G, qui ont tous les deux gagné trois fois dans le Colorado.
Le skieur de Franconia, dans le New Hampshire, à 37 ans, n’a plus participé à une descente depuis mars dernier. Il a subi une opération du dos après une hernie discale, et il devait être au départ pour tenter de remporter sa sixième médaille mondiale (déjà 4 titres dont l’or en 2005). Pour les descentes de Kitzbühel et Wengen, Bode Miller avait descendu la Streif et le Lauberhorn en tant qu’ouvreur avant de terminer sixième du deuxième entraînement en Autriche. L’Américain n’avait pas pris le départ de la course, mais il avait malgré tout lancé un signal clair à ses adversaires : I’m back !
Sauf que jeudi, dans le Super G, "Magic Miller" a lourdement chuté. Et en tombant, avec ses skis, il s’est entaillé le mollet droit sur une dizaine de centimètres, se sectionnant un tendon. Bode Miller a donc du être opéré et il ne pourra pas prendre le départ de "sa" descente, la même où il a remporté sa dernière victoire, en 2011, au terme d’une course qui est restée dans les mémoires de tous les amateurs de ski tant sa domination avait été totale et sa démonstration parfaite, notamment sur les quatre sauts qui jalonnent le parcours, dont le désormais fameux Golden Eagle qui envoie les skieurs faire un vol plané d’une soixantaine de mètres.
Les skieurs, dans leur grande majorité, sont des fondus de vitesse… et d’émotions extrêmes. Quand ils ne sont pas sur les pistes, skis aux pieds, ils roulent à moto, foncent en voiture, sautent en parachute ou surfent de grosses vagues. D’après Luc "Lucho" Alphand, le seul skieur à avoir gagné deux descentes le même jour à Kitzbühel et le dernier Français à avoir remporté le classement général de la Coupe du monde de ski (en 1997), il existe même un chromosome de la vitesse. Difficile à prouver, mais tout à fait envisageable…
Adrien Théaux : "Le risque, c'est ce qui me fait vibrer"
Lorsque vous allez skier, vous passez par le loueur pour récupérer chaussures, skis et bâtons. Les pros, eux, n’empruntent pas exactement le même chemin. Tout simplement parce qu’ils n’utilisent pas du tout le même matériel.
Du casque au masque en passant par les chaussons et les chaussures, tout est étudié, profilé, préparé pour aller vite… et loin. Il n’y a qu’à observer un skieur de compétition avant un départ ou à l’arrivée d’une course pour comprendre l’importance du matériel à ce niveau de performance.
Les skis, d’abord, sont l’objet de toutes les attentions et de toutes les convoitises, aussi. Un bon skieur avec de mauvais skis rentrera dans le rang. À l’inverse, une bonne paire de skis pourra permettre à un bon skieur de grimper sur les podiums. Comme la Formule 1 ou la voile, le ski peut être considéré comme un sport "à matériel" où l’équipement influe grandement sur le résultat final.
Élément central de la panoplie du skieur : les skis, évidemment. Sur une descente comme celle des Championnats du monde, chaque "top skieur" possède à sa disposition une dizaine de paires de skis. Il choisit celle qu’il utilisera en fonction de la météo, de la qualité de la neige et de son feeling.
Johan Clarey fait partie de ces skieurs qui utilisent des chaussons très fins dans leurs chaussures de ski. Le descendeur de la Clusaz n’est pas un cas isolé, juste un champion qui accepte de se faire mal pour aller vite. À l’écouter, on ne peut pas s’empêcher de penser à Bourvil dans la Grande vadrouille. Il nous décrit un grand gaillard qui enfile des chaussures trop petites pour dévaller des pentes que le commun des mortels n’oserait pas descendre à pied.
Johan Clarey : "Il faut souffrir pour être vite"
Une "boîte", dans le jargon du ski, c’est une chute, un gadin, une gamelle et à un moment ou à un autre, en Suisse ou en Autriche, tous les descendeurs ont pris une "boîte". Parfois une "bonne boîte", parfois une "grosse boîte".
Le point commun entre toutes ces chutes ? Les skieurs s’en souviennent. Elles les marquent, dans leur tête et/ou dans leur chaire. Certaines "boîtes" provoquent des fins de carrières, d’autres une rééducation plus ou moins longue, mais toujours douloureuse.
La chute et la blessure font partie intégrante de la vie du skieur de vitesse. Une sorte de passage obligé, pas agréable, mais formateur et pour ainsi dire attendu. Une carrière ne peut pas s’envisager sans une faute de carre, un saut manqué, un atterrissage dans les filets et une évacuation dans la barquette des secouristes avant l’hélico, l’hôpital, voir l’opération.
► ► ► VIDÉO | Les dix chutes sélectionnées par F. Ballanger
Carole Montillet : "Les souvenirs d'une vie"
Pour ses derniers Jeux olympiques, en 2006 à Turin, Carole Montillet chute lors d'un entraînement.
Luc Alphand : "Une petite caste chez les skieurs"
Les descendeurs sont-ils les punks du ski ? La question mérite d’être posée tant ces skieurs forment une caste à part dans le petit monde du blanc. Les "techniciens", comprenez ceux qui s’amusent entre les piquets, les slalomeurs, les géantistes sont des artistes et même si parfois, la pente est rude et si toujours, il faut avoir le cœur bien accroché pour se lâcher dans un slalom de Coupe du monde, les descendeurs ont ce petit quelque chose en plus qui fait vibrer les foules : ils vont vite ! Parole d'un expert, Luc Alphand, triple vainqueur de la mythique Streif de Kitzbühel.
À Kitzbühel, par exemple, en Autriche, l’une des places (très) fortes du ski mondial, ils sont 20 000, le dimanche, pour venir voir Marcel Hirscher, l’enfant du pays, se faufiler entre les piquets du slalom. Mais le samedi, ils sont 40 000 pour admirer les gaillards qui vont descendre la "Streif" et se sortir de la "Mausefalle", cette souricière qui a envoyé quelques-uns des meilleurs skieurs de l’histoire à l’hôpital ou à défaut, dans les filets de protection.
Jean Mazzoli (Salomon) : "les skieurs ont des vilains pieds"